Les achats responsables sont à la mode. Chartes achats responsables par-ci, iso 20400 par-là, responsabilité sociétale des entreprises partout. Et c’est tant mieux ! Cependant, on ne parle plus ou pas assez des achats irresponsables. C’est pourquoi je prends plaisir à prendre ma plume pour vous en partager un bel exemple.

 

« Il est important qu’une entreprise fixe ses engagements
en termes de visions, de valeurs et de règles d’organisation »

Comme tout nouvel arrivant dans une entreprise, j’ai reçu mon « kit d’arrivée » avec, entre autres, une charte éthique groupe que je devais respecter à la lettre. C’est important qu’une entreprise fixe ses engagements en termes de visions, de valeurs et de règles d’organisation et les communique à l’ensemble des parties prenantes, fournisseurs inclus. J’évolue donc dans un environnement où je sais qu’un strict respect des lois est attendu de tous. Chouette, me dis-je, les fournisseurs doivent être payés rubis sur l’ongle dans ce contexte !

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris que mon fournisseur stratégique chinois était payé à 120 jours à date de réception de la marchandise (le délai standard avec la Chine étant de 96 jours). Et surtout lorsque j’appris qu’un de mes objectifs était de négocier un délai à 180 jours !

Je fais alors un rapide calcul : les produits que fabrique mon fournisseur sont livrés par bateau (3 mois), et le paiement est déclenché à réception… Mon fournisseur est donc payé 7 mois après avoir expédié la marchandise quand tout va bien. Et je dois négocier de le payer 9 mois après… J’espère que mon fournisseur a les reins solides, car il en faut de la trésorerie !

Albert&Co-Les achats irresponsables

Je m’arme de bonne volonté et organise une réunion téléphonique avec mon fournisseur en lui ayant envoyé un ordre du jour au préalable. La réunion commence, on se présente et mon fournisseur m’apprend rapidement qu’il ne peut pas accepter ces nouvelles conditions de paiement. Je lui demande pourquoi. Il m’annonce alors une liste de raisons longues comme le bras (dont des retards de paiement de plus de 6 mois). Après cette avalanche de réponses, je pose une question : « Mais pourquoi n’en avez-vous jamais parlé jusqu’à présent ? »
Ce à quoi il rétorque : « Parce que je n’en ai pas eu l’occasion depuis plusieurs années ».
J’en tombe de ma chaise (pas littéralement, bien entendu).

Ce fournisseur stratégique ne bénéficie pas d’un suivi fournisseur adapté et on ne l’écoute pas. Il n’est pas audité annuellement, il n’a jamais reçu d’enquête de satisfaction fournisseur, il n’a jamais rencontré physiquement l’acheteur.

 

« Il faut que je mette en place
un suivi digne de ce nom »

Après cette réunion, ma première réaction est de me dire qu’heureusement, nous n’avons jamais eu de sérieux problèmes avec ce fournisseur. Il faut cependant que je mette en place un suivi digne de ce nom : création d’outils de suivi et de KPIs, organiser une visite, créer un formulaire d’échanges…

Quelques semaines passent car je suis happée par une crise avec un fournisseur qui refuse de livrer parce-que les dernières livraisons sont en retard de paiement. Tiens, tiens, tiens, ça ne me semble pas très éthique tout ça.

Tout ça pour dire que je ne vois pas arriver la crise avec mon fournisseur chinois. Coup de fil :

« Bonjour, désolé mais nous avons des retards dans la fabrication.

– Ahhhh mince, pourquoi, que se passe-t-il ?
– Notre fournisseur a été fermé par les autorités chinoises pour cause de non-respect des normes en termes de pollution et parce qu’il pleut trop, et depuis trop longtemps.
– Mais vous avez bien du stock de sécurité et une seconde source ?
– Le stock de sécurité à été utilisé et non, nous n’avons pas de seconde source. »

Intérieurement, je pleure, mais la conversation reprend :

« Je ne comprends pas… il pleut et il fait humide. Quel est le lien avec la production ?
– On fait sécher les composants à l’air libre, et quand l’air est saturé d’humidité, ils ne sèchent pas bien ou ne sont pas de bonne qualité. »

Je ne pleure plus, je me liquéfie.

 

« S’il y avait eu une analyse du marché fournisseur
et un accompagnement permettant de travailler
sur les risques et opportunités, on n’en serait pas là »

Je raccroche et me rends compte que je ne maitrise absolument pas mon fournisseur ; je ne connais pas ses contraintes techniques, je ne connais pas ses fournisseurs, je ne sais pas si les engagements contractuels sont pertinents. J’en reviens à ma première réaction : le suivi fournisseur n’est pas adapté et surtout, je ne connais pas mon fournisseur ! S’il y avait eu une analyse du marché fournisseur (SWOT, PESTEL) et un accompagnement permettant de travailler sur les risques et opportunités, on n’en serait pas là. Mais non, ce fournisseur est rentré au panel car il répondait juste aux critères coût, qualité, délais.

Pour m’aider dans la gestion de la crise, je me rapproche de l’équipe sourcing chinoise car elle peut peut-être m’aider. Ils me parlent d’un fournisseur qu’ils viennent tout juste de qualifier, et qui est moins cher.  Je suis évidemment intéressée par le contact de ce fournisseur et j’engage les discussions.

Très rapidement, je me rends compte que je perds le contrôle de la situation : mes homologues chinois (via l’entremise de la direction Achats Groupe) veulent m’imposer de travailler avec ce fournisseur qui n’est pas à mon panel car il est moins cher.

Les savings font partie de nos objectifs, donc je me lance dans une analyse financière. Et là, patatras, le fournisseur B a effectivement un prix moins cher mais son incoterm est EXW (Ex-works) tandis que mon fournisseur est DAP (Delivered At Place). Un TCO met en évidence que mon fournisseur est mieux placé et j’en informe la direction. Pour autant, la pression pour travailler avec B s’intensifie car, me dit-on : « il est moins cher ».

Je cherche à comprendre pourquoi on me donne cette réponse. Et je découvre que l’équipe chinoise est objectivée sur l’augmentation de sourcing Chine et que le KPI de savings ne prend pas en compte les écarts de prix liés aux incoterms.

Si l’ensemble des achats avait des objectifs adaptés et que les KPIs étaient représentatifs, on gagnerait en cohérence et sérénité.

Je vous rassure, avec le fournisseur, nous sommes parvenus à sortir de la crise, mais cela a pris presque 1 an pour revenir à un taux de service normal. J’ai mis à profit la connaissance que j’avais acquise de mon fournisseur pour mettre en place quelques chantiers d’amélioration :

  • Mise en place d’un stock de consignation en France
  • Double sourcing des fournisseurs de rang 2 stratégiques
  • Alerte en cas de retards de paiement
  • Et, chutttt, mais je n’ai jamais négocié le délai de paiement à 180 jours.

S’il y a des leçons à retenir, c’est que le métier des achats requiert de connaitre ses fournisseurs, de les écouter, de les appréhender dans une démarche globale (TCO) et de les respecter. C’est le début des achats responsables.

 

Par Tiffany PERRET